(tenna) we need to talk

Tu entres dans l’appartement sans même y avoir été invitée. En temps normal ça t’aurait beaucoup amusé, et ça te ressemblerait beaucoup de faire irruption chez un proche, comme si c’était en fait ton propre appartement. Mais aujourd’hui, ce n’était même pas vraiment délibéré.

Aujourd’hui, tu étais passablement fébrile et la colère couvait sous la surface.
Si ce n’est pas avec le sourire que tu fais irruption chez TJ mais avec un masque dénudé d’expression. Faute de pouvoir contenir tes émotions. Autant toutes les bannir. C’était bien plus simple de gérer ainsi que de faire le tri. La figure impassible, tu l’appelles d’une voix forte. Une fois. Deux fois. Jusqu’à ce qu’il te réponde.

T’es plantée au milieu du salon, juchée sur tes escarpins, pas très loin de Tristan le lion. Tu es venue directement en sortant du boulot, de ce fait, tu portes encore ton tailleur pantalon bleu marine et un par-dessus d’un noir intense. Ton sac à main fraîchement abandonné sur la table basse, tu croises les bras sous ta poitrine alors qu’il apparaît enfin. Tu n’y vas pas par quatre chemins, comme à ton habitude.

« C’est vrai ce que m’a dit Vee ? Se rincer la tronche à la coke c’est une chose. Mais produire de la drogue, TJ ? Sérieusement ?! »

J'suis tranquille entrain de jouer de la guitare dans ma piaule quand j'entends la voix de Kenna Blackwell gueuler dans le salon. Rappel à moi même : fermer la porte à clé la prochaine fois. Putain. Je sors pour la rejoindre, j'ai un sourire quand je la vois, plutôt content qu'elle vienne me rendre visite mais quand je vois sa tête et surtout quand je l'entends... Ça me fait plus marrer du tout. Putain de merde. Je fronce les sourcils en m'approchant, je glisse les mains dans les poches de mon jogging, je n'ai clairement pas dans l'optique de m'engueuler avec elle maintenant, mais... je sais comment ça va se finir. Sûrement mal. J'étais pénard chez moi et elle se donne le droit de débarquer pour me gueuler dessus parce qu'elle a appris ce que je faisais. Pfff.
- Bonjour, je fais, sarcastique. Je la toise un instant avant de reprendre, et alors ? Tu vas me dénoncer ? C'est quoi ton problème, Kenna ?
Je n'aime vraiment pas qu'elle débarque comme ça et je sais ce qui m'attend, elle va sans doute péter un câble, peut-être menacer de me dénoncer. Je dois réfléchir à comment faire en sorte que ça ne parte pas trop loin. Enfin, je devrais y réfléchir. Si j'étais du genre à préférer la diplomatie. Si j'étais du genre à vouloir sauver les meubles. Loupé.
- Vas y, je t'écoute, fait moi ta crise. Qu'est-ce qui te gêne le plus ? Que ce soit illégal ou que je t'ai rien dit ?  Ah ! Attend ! Je reconnais ce moment ! ... C'est quand je m'en bats les couilles et que ça ne te regarde absolument pas !
Je roule des yeux, je suis clairement entrain de me foutre de sa gueule, je sens qu'elle va probablement péter un boulon. Dévisser. Total.

Certaines personnes possèdent un instinct de survie plus ou moins développé. Puis certaines en sont dépourvus. TJ appartient à cette deuxième catégorie. Tu avais beau l’avoir toujours su, tu avais très envie de l’éviscérer en cet instant. Il aurait pu tenter de temporiser, tenter de s’expliquer. Mais non, monsieur avait préféré sortir tous crocs dehors. Ça aurait pu marcher avec n’importe qui. Mais tu n’étais pas n’importe qui. Et il était hors de question que tu laisses passer. Est-ce qu’il pensait vraiment que tu allais le dénoncer ? Il n’avait vraiment aucun crédit à t’accorder visiblement. Peut-être qu’il ne te connaissait pas si bien après tout.

« Mais t’as deux neurones qui se touchent ou t’es complètement idiot ? Ton seul souci c’est que je te dénonce ? Il ne te viendrait pas à l’idée que tu t’étais foutu jusqu’au cou dans un truc hyper dangereux qui te dépasse et que tu pourrais y laisser ta peau ? » Tu ponctues ta phrase en le poussant assez fort pour le faire trébucher. Mais quel genre de connard est-ce qu’il était au juste ? « Et ne t’avise jamais de me reparler sur ce ton. Chuis pas une de ces petites greluches que tu baises à l’occasion. Je t’interdis de me traiter comme si j’étais un kleenex. On a traversé beaucoup trop de trucs pour que tu me balances cette attitude de merde alors abstiens-toi, compris ? Parce que je jure que je t’embroche avec le premier truc que je trouve. »

Il va sans dire que des années d’escrime acharnées ont fait de toi une fine lame et que, quoiqu’on dise de toi, tu n’étais certainement pas du genre à faire des menaces en l’air. Tu mettais un point d’honneur à les honorer toutes sans exception. Et si TJ tenait tant à courir vers sa mort prématurée, tu étais bien prête à exaucer ses vœux. Tu étais dans une telle colère que ça n’aurait pas demandé beaucoup plus d’encouragements, tu en étais persuadée.

« Si c’est tellement rien, pourquoi tu ne me l’as pas dit ? Pourquoi je l’ai appris de la bouche de Vee ? Si tu es si fier de toi, pourquoi est-ce que tu le cachais ? »

Tu croises les bras pour ne pas être tentée de le refrapper. Pas de suite du moins.

Bon de toute évidence j'étais allé beaucoup trop loin. Pourquoi ? Principe stupide d'auto-défense sans doute. Ou bien tout simplement parce que c'était vrai, mes activités ne regardaient pas Kenna. Je n'avais aucun compte à lui rendre et notre amitié n'avait rien à voir là dedans. Évidemment, elle me dit que c'est dangereux, comme si je n'étais pas au courant et je suis surpris lorsqu'elle me pousse. Elle me fait reculer, je la toise.
Lorsqu'elle a terminé son numéro je soupire et je passe une main dans mes cheveux, j'ai vraiment pas envie de parler de tout ça maintenant mais je sais qu'elle ne va pas me laisser m'en tirer sans explication. Mais quelle explication puis-je bien lui donner? Il n'y en a pas de valable. Au début c'était marrant. Maintenant je me fais du fric mais je risque de me faire buter à n'importe quel moment. Je ne peux décemment pas jouer la carte du bad boy inconscient avec elle. Elle me connait trop pour savoir que je ne suis pas tombé là dedans par hasard.
- Kenna, écoute... Je n'en suis pas fier, ok ? Je le fais car je le fais, c'est tout. Je n'ai pas envie de mêler qui que ce soit à ça, personne n'est au courant sauf ceux qui me paient. Et c'est suffisant.
Je tente de m'approcher d'elle, elle est la dernière avec qui j'ai envie de me prendre la tête en ce moment. Surtout après ce qui s'est passé. Après l'autre soir.
- J'avais commencé pour le fun juste pour dépanner des potes, et les Shelby m'ont trouvé, ils m'ont fait bosser pour eux. Quand Abel a été envoyé en taule j'espérais que ce serait terminé et que je pourrais faire autre chose mais les Hills m'ont chopé et ils ne m'ont pas vraiment laissé le choix.
Je m'installe sur le canapé sans la quitter des yeux mais j'ai besoin d'une clope, je prends le paquet sur la table pour en sortir une et l'allumer. Je tire une longue taffe dessus et je m'enfonce dans le canapé. Bon puisqu'elle est là, autant tout lui dire. C'est trop tard de toute façon, elle est déjà au courant.
- Je suis entrain de réfléchir à comment arrêter sans me faire tuer. Mais, s'il te plaît, ne t'en mêle pas, ok? Je n'ai pas envie que ça te retombe dessus. Les choses sont sous contrôle. Pour l'instant.
J'avais déjà quelques idées en tête, je n'avais pas prévu de faire ce boulot toute ma vie, aussi je réfléchis déjà à comment me faire virer sans me faire tuer. Pour l'instant la seule solution était de me faire remplacer. Je devais trouver quelqu'un. Quelqu'un d'un minimum intelligent pour suivre une recette de cuisine, quelqu'un d'assez consciencieux pour pas faire de la merde. Peut-être que les Hills auraient quelqu'un en interne qui serait intéressé pour une "évolution professionnelle"... J'en avais aucune idée.

Il tente de se rapprocher de toi, physiquement, dans un premier temps et tu ne bouges pas. Tu es trop tendue, peu sûre de ce que tu pourrais faire de tes mains. Tu es toujours habitée par la colère mais l’inquiétude commence à ronger du terrain. Sans parler du fait que tu ne voulais pas lui faire la satisfaction de lui tomber dans les bras aussi facilement après ce qu’il avait pu te dire juste avant. Mais tu n’as pas envie de te mettre hors d’attente, pas encore. C’était donc un juste compromis pour toi.

Et voilà qu’il commence à te raconter le déroulement des événements et la colère commence à te quitter peu à peu pour laisser plus de place à l’inquiétude, et au dépit. Il s’était retrouvé dans quelques choses qui le dépassaient. Ce qui devait forcément arriver un jour si on y pense bien. TJ avait toujours le don d’être tout feu tout flammes, de se lancer dans des aventures plus périlleuses les unes que les autres. Il fallait bien que ça lui tombe dessus à un moment donné. Et ce moment semblait venu.

Tu te laisses tomber à ses côtés sur le canapé après t’être débarrassée de ton manteau. Ça expliquait tout. A commencer par comment il avait pu s’offrir un loft pareil, et Tristan le lion. Tu hoches la tête quand il te dit qu’il cherche comment arrêter sans se faire tuer mais c’est un geste plutôt mécanique car ton esprit est ailleurs, ton cerveau est en train de tourner à plein régime pour trouver une solution à cette situation, pour trouver comment le sortir de là à en un seul morceau. Peu importe ce qu’il en disait, tu n’avais pas l’intention de détourner les yeux et le laisser seul dans son merdier. Tu n’étais pas du genre à te laisser impressionner par qui que ce soit, et tu avais le bras long. Il n’était donc pas question que tu restes sans rien faire. Mais tu n’allais pas débouler comme ça dans le nid de guêpe, il allait falloir faire preuve de prudence. D’une extrême prudence. Tu poses enfin les yeux sur TJ. Ton visage et ta voix se sont radoucis, tu parles plus doucement à présent.

« Faire ça pour le fun franchement… tu ne t’es pas dit que ça me fera quelque chose s’il t’arrivait quoique ce soit ? »

Tu laisses ta main courir dans ses cheveux.

Kenna a l'air de se calmer, elle vient s'installer sur le canapé à côté de moi, sa question m'intrigue. Je tourne les yeux vers elle et je la regarde un moment. Qu'est-ce que je peux vraiment lui répondre hein? Non je n'ai pas pensé une seconde à elle. Kenna n'était pas au centre de ma vie quand j'ai commencé ces conneries. Alors... Non. Tout simplement. Et je n'avais pas plus pensé à elle quand les Hills m'avaient fait leur proposition. Je n'avais purement pensé qu'à ma gueule et... Je trouvais ça plutôt logique. Elle avait toujours été dans ma vie, certes, mais Kenna était une amie et à l'époque où j'avais commencé à synthétiser de la drogue pour mes potes je sortais tout juste de la fac, une époque où l'on se fréquentait moins puisque j'avais passé quasiment trois ans à Portland, réalisant de rares passages à Hillsboro. Alors non... Ma vie et mes actions ne tournent pas autour d'elle et de ce qu'elle peut penser. Je pince les lèvres.
- Non... Ça a commencé quand j'étais encore à Portland pour étudier la chimie. Ma copine de l'époque trouvait ça... Marrant. C'était une conne.
Oui évidemment avec du recul c'est un peu plus simple de réaliser ça. J'adresse un léger sourire à Kenna et je passe la main sous sa cuisse pour l'attirer vers moi sur le canapé, la forcer à se rapprocher un peu plus.
- Écoute, je compte pas faire ça toute ma vie, mais... Pour l'instant je dois le faire, en attendant de trouver comment en sortir. Les horaires sont flexibles et bien rémunérées. Ils me protègent parce qu'ils ont besoin de moi. Ça va aller.
Je passe ma main sur la sienne, mes doigts s'arrêtent sur son annulaire, là où se trouve cette ridicule bague de fiançailles. Ça me fait grimacer. Je relève les yeux vers elle.
- T'es venue ici juste pour me gueuler dessus?

Tu n’étais pas si sûre que ça allait bien se passer mais tu le laisses volontiers te rapprocher de lui alors que tu plonges ton regard dans le sien en silence. Sans ta colère, tu te sens bizarrement vide, bizarrement nue. Tu n’aimais pas être inquiète ou anxieuse, être en colère c’était bien plus simple, bien plus facile, bien plus réconfortant. Alors que l’inquiétude, tu ne savais pas gérer, tu n’aimais pas ce sentiment. Pourtant, tu t’inquiétais énormément. Pour ta famille la majorité du temps, ou pour le travail. Mais t’inquiéter pour TJ, c’était tout nouveau pour toi. Qu’est-ce qui avait changé ? Pas juste le fait de coucher avec lui, assurément. Il t’en fallait plus. Tu n’étais pas une pauvre petite fille énamourée pour si peu. TJ avait toujours compté plus que la moyenne mais il avait raison : vous vous étiez perdus de vue pendant la fac et c’est en revenant ici que vous étiez redevenus proches. Mais vous aviez toujours plus ou moins fait votre vie indépendamment l’un de l’autre. Et maintenant quoi ?
Tu suis son regard sur ta main. Tu jettes un regard irrité à l’objet que tu te sens obligée de porter. Sa vue provoquait toujours chez toi une certaine irritation, tu n’aimais pas du tout cette bague, elle ne te ressemblait pas et représentait le poids que ce pacte faisait peser sur toi.

« A la base, c’était le plan oui. Avec accessoirement deux ou trois claques au besoin. » Tu lui lances un sourire amusé avant de reprendre. « Je sors du travail comme tu peux le voir. Je n’avais pas vraiment de plan, une fois n’est pas coutume. »

Tu hausses les épaules alors que ton regard s’attarde sur lui, puis sur ses lèvres, avant de revenir sur ses yeux.

« Mais j’aurais peut-être une idée… » Tu te rapproches jusqu’à ce que tes lèvres effleurent les siennes. « Sauf si tu as d’autres projets. » Tu te recules légèrement.

Deux ou trois claques. Ça me fait sourire, j'ai évité le pire. Kenna ne m'a pas giflé, je peux me féliciter si elle est vraiment venue dans l'intention de m'en coller une. Elle me dit qu'elle n'a pas de plan, qu'elle sort du boulot et je hoche la tête, les choses ont l'air plus apaisées à présent et c'est bien, je n'ai plus vraiment besoin de me justifier. Cela dit, j'espère réellement qu'elle ne va pas foutre son nez dans mes histoires, qu'elle ne va pas essayer de m'en sortir en tentant de tirer des ficelles qu'elle ne contrôle pas. Elle croit sans doute pouvoir m'aider, mais elle n'a aucune idée de ce qui se passe réellement à Hillsboro; des trafics, des complots, de la violence. Kenna vit dans sa tour dorée et bien qu'elle participe activement à la vie de la ville et qu'elle cultive une réputation honorable, elle ne trempe pas dans les affaires cachées derrière les beaux rideaux de velours des clubs sélectes. Moi non plus, ça ne m'intéresse pas. Mais j'en suis devenu un pion. Elle s'approche dangereusement, je sens son souffle, je me mords l'intérieur de la joue en l'entendant. Bien, Kenna, je te retrouve un peu. Je la préfère jouant les allumeuses que les amies éconduites par mon égoïsme. Evidemment. Elle se recule. Je roule des yeux.
- J'étais entrain de jouer de la gratte, mais je suppose que j'ai mieux à faire à présent, je lui dis.
Tant pis, je n'écrirais pas tout de suite la musique qui fera peut-être ma gloire. Kenna peut bien passer avant. Le plaisir immédiat, c'est bien plus excitant non ?
- J'espère que ton idée consiste à enlever ce tailleur, j'suis sûr que je te préfère sans, et si tu pouvais enlever cette bague ridicule aussi... je me penche pour l'embrasser dans le cou, déposer plusieurs baisers sur sa peau tout en la tirant par la taille. J'avoue, je déteste cette bague et l'idée que Kenna appartienne à quelqu'un. Je relève le menton pour la regarder. J'ai jamais trop aimé partager en fait...
Que voulez-vous, tout ça c'est parce que je suis enfant unique. C'pas de ma faute.